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Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945): Témoignage Platon Marcel

09/04/2013 - Lu 4291 fois
"N° double 96-97"
"Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945). "Témoignages"

Né au Fleix en 1920, ce fils d'agriculteurs, demeurant au Gueynaire, se définit comme « protestant, très engagé avant-guerre dans les mouvements de jeunesse de l'Église réformée. »

 

 
 
« Il faut connaître son histoire. Nous en sommes les héritiers.
Que l'on le veuille ou non, que cela nous plaise ou pas, c'est notre histoire. »
 
M. P.
 
 
« J'ai été élève à l'École Supérieure de Sainte-Foy jusqu’en 1934 ; en 1942, il y avait dans cette même école une quinzaine de garçons et filles juifs réfugiés qui avaient alors entre 13 et 14 ans. Jean Corriger y enseignait; par ailleurs, il était membre du conseil presbytéral de l'Église protestante de Sainte-Foy, responsable de la jeunesse. Il constituait un recours pour tous les gens en difficulté et il a fait des émules. Il agissait discrètement; si un noir avait un problème à l'Université de Bordeaux, on réglait le problème chez Corriger ; si une jeune fille avait un problème et qu’elle se confiait à lui, il apportait une solution.
Un jour, Jean Corriger a appris que ces enfants Juifs couraient le danger d'être arrêtés et déportés. Il a posé le problème aux familles françaises, une à une, pour protéger ces jeunes: « Accepteriez-vous d'héberger un juif chez vous? » a-t-il dit aux parents.
Nous autres avions entendu parler de l'histoire des Hébreux à l'école biblique. Bercés dès l'enfance par les récits de l'Ancien Testament, nous n'avions pas le même regard que les catholiques. Notre père était mort en 1942, aussi, ma mère nous a-t-elle demandé notre approbation - j'avais une sœur et un frère -. La famille a accueilli Jacques Misteing, qui était venu de Nexon (Haute-Vienne) et dont les parents étaient français. Il avait autour de 14 ans. A partir de là, il a vécu comme nous, il nous suivait partout, même au temple, mais on respectait sa religion. On lui a demandé s'il voulait lire la Bible des chrétiens, il nous a alors fait comprendre que ce n'était pas un sujet à aborder avec lui. Nous le considérions comme un frère. Jean Corriger a pris ses dispositions pour cacher tous ces Juifs.
Au Fleix (Dordogne), il y avait, certes, des collabos, des Pétainistes. L'amiral Platon, un lointain cousin, lui aussi protestant, a tenu à Périgueux une réunion pour recruter des gens pour la Légion des combattants; à ma connaissance, il n'y eut personne de la commune dans cet organisme maréchaliste. Ici, tout le monde savait que nous hébergions un Juif mais aucune dénonciation. Certes, deux ou trois familles protestantes avaient cherché à nous dissuader, ils ne comprenaient pas notre comportement qui pouvait nous attirer que des ennuis. Je tairai les noms de ces notables charitables. Cet enfant est resté chez nous.
Je me souviens du passage à la ferme des Allemands qui allaient de Libourne à Bergerac en cherchant du ravitaillement. C'était avant le débarquement. Ils sont venus chez nous; c'est Jacques qui faisait le guet et qui les a accueillis sans problème. J'avais été démobilisé en 1942, j'arrivais d'Algérie où j'avais fait une formation de contre-espionnage ainsi que dans les transmissions aux chasseurs alpins à Alger. Je faisais partie de la Résistance depuis le 1er janvier 1943 ; j'étais boîte à lettres pour les gens du général de Gaulle. Je suis parti m'engager après le 6 juin dans le groupe « Jean ». Le jeune Jean Misteing est resté chez nous jusqu'en août 1945. Puis il a rejoint un camp d'Israélites dans l'Agenais, ses parents étant portés disparus.
Quelques dizaines d'années plus tard, il est revenu avec sa femme. Entre temps, il avait travaillé chez Lévitan - le fabricant de meubles - puis dans une station-service. Il a acheté une maison à Saint-André et Appelles comme pied à terre ; puis, à la retraite, il est revenu un ou deux ans et a fait bâtir une maison au Fleix où il a voulu s'intégrer en s'investissant au foyer d'Éducation populaire de l'Amicale laïque. Ce dernier était dirigé par M. Clavé, directeur d'école à la retraite. Jean était très doué en musique et dirigeait la chorale; il avait, cependant, un caractère très autoritaire; en somme, il était difficile à vivre. Son fils, médecin, a épousé une Israélienne qui venait des kibboutz. Très pratiquante, elle vivait avec ses enfants dans l'observance des règles du judaïsme. Jacques est décédé en 1995 d'une crise cardiaque ; sa femme a alors quitté la région.
 
Souleiou
 
« Ce jour-là, le 5 août 1944, on a entendu une troupe et on su que des gens étaient montés à Souleiou ; au retour, on a raconté qu'ils chantaient La Madelon. Quelques jours après, un propriétaire - dont j'ai oublié le nom - est allé travailler une vigne au-dessus. Il a été accueilli par une odeur affreuse et a découvert un spectacle insoutenable. Il a aussitôt averti M. Armbruster qui appartenait aux RG. Ce journaliste, originaire de Selestat, avait acheté une propriété au Gabastou ; dès le départ, il a fait partie des réseaux gaullistes de la région autour de Louis de la Bardonnie et d' « Alexandre ». J'étais moi-même gaulliste.
Le maire du maquis, Desseigne, le plus haut responsable local, a réuni cinq personnes pour y aller. Se sont rendus sur place M. Armbruster et son fils, André Coste et Maurice Grandveau - tous deux sont aujourd'hui décédés -, le fils du propriétaire de la vigne et moi-même. Ce fut une corvée épouvantable. Il a fallu que nous revenions à la maison pour nous munir de masques à gaz et d'eau de Cologne pour humecter des mouchoirs. Les assassins avaient coupé les doigts des victimes pour ôter les bagues, enlevé les dents en or, un cadavre n'avait plus de tête, c'était une horreur. Les gens de Sainte-Foy ne voulaient pas y croire. Pour moi, les victimes n'ont pas été fusillées mais battues à mort, massacrées, bras cassés, jambes brisées. Elles ont été enterrées sur place. Quelque temps après, un groupe juif est venu, a repris les corps après avoir fait la cérémonie funéraire israélite, chanté le Kadish et dit la prière des morts. C'est paru dans la presse.
Après la guerre, des cérémonies commémoratives ont été organisées ; depuis, on a toujours porté une gerbe, le 11 novembre, sur le lieu de cette tuerie. On doit la stèle de Souleiou au colonel Chauvin, franc-maçon et fervent gaulliste, devenu maire du Fleix. Il était considéré comme le père de la commune ; du reste, c'est lui qui a fait ajouter, sous la liste des victimes, la plaque rappelant l'appel du « Général ».
Qui a perpétré ce forfait ? Une unité en uniforme allemand où se trouvaient des Français ? Des Français engagés dans l'armée allemande ? Je ne sais.
Au Fleix, il y avait bien un versant de l'opinion très pétainiste, mais il n'y a pas eu, à ma connaissance, de dénonciations. A la Libération, la municipalité a rebaptisé les rues du village et a donné des noms de maréchaux de la France libre : Koenig, de Lattre. Mais en fait, la commune était très divisée entre droite et gauche. Pour ma part, j'ai quitté Le Fleix en 1950 pour aller travailler comme infirmier à la fondation John Bost. »


[1] Témoignage de Monsieur Marcel Platon recueilli par Jacques Puyaubert le 11 juin 2009
 

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