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Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945): Témoignage Oungre Simon

09/04/2013 - Lu 5813 fois
"N° double 96-97"
"Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945). "Témoignages"


Témoignage de Monsieur Simon Oungre en faveur de Monsieur Paul Vergnaud et de son épouse pour l’inscription au titre de Justes devant les Nations auprès du Mémorial de Yad Vashem,

 

 
« Je soussigné Simon Maurice Oungre, certifie les faits suivants :
Je suis né le 5 mars 1932 à Metz, Moselle, dans une famille établie dans l'Est de la France depuis fort longtemps. J'ai entrepris des recherches généalogiques il y a plus de 20 ans, aux archives départementales de la Moselle, et j'ai d'autre part recueilli des informations conservées par des membres de ma famille ou issues de publications sur l'histoire des juifs de Lorraine.
Il en ressort que la famille de mon grand-père paternel était établie à Hellimer (Moselle) au moins depuis 1739. Le nom s'écrivait alors Hongre, ce qui semble dénoter une origine hongroise. L'orthographe actuelle résulte d'une erreur commise à l'état civil vers 1850. Du côté de ma grand-mère paternelle, je remonte jusqu'à Leib Jacob Cain, établi à Pontpierre (Moselle) au début du XVIIIème siècle (date exacte inconnue, mais son fils est né en 1739). Enfin, la famille de mon grand-père maternel (Bingen, devenu Bing par la suite) s'est établie à Sierck (Moselle) après le rattachement de cette ville à la France, en 1661. Le nom de Bingen indique une origine dans la ville du même nom, en Allemagne.
Mes parents, Armand et Pauline, née Bing, se sont mariés en 1924. Ils ont eu une fille, Andrée, née en 1925, et moi-même. Ma soeur est mariée, et elle vit à Belfort. Mon père (1891-1973) avait deux frères. Tous trois ont fait la première guerre mondiale dans l'armée allemande puisqu'ils vivaient en Lorraine. Après la guerre, ils se sont associés avec leur père, auquel ils ont succédé par la suite, dans une entreprise de récupération de peaux brutes, chiffons, ferrailles, vieux métaux, sauvagines, soie de porc et crin brut de cheval. Au moment de la crise de 1929, il n'y avait plus de quoi faire vivre trois familles : mon père, qui était le plus jeune, s'est alors reconverti comme fourreur à Thionville (Moselle), mais nous avons continué d'habiter à Metz.
Lorsque la «drôle de guerre » a pris fin avec l'offensive de l'armée allemande, (10 mai 1940), nous avons quitté Metz. Nous avions la chance de posséder une automobile, ce qui nous donnait une certaine autonomie. Nous avons connu les routes de l'exode, avec leurs encombrements et les alertes dues aux attaques de l'aviation allemande. Nous nous sommes réfugiés de plus en plus loin au fur et à mesure de l'avance de l'armée allemande: d'abord à Saint Calais (Sarthe), puis à Muron (Charente Maritime) et enfin à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) parce que d'autres membres de la famille avaient pu nous faire savoir qu'ils y étaient déjà.
Mon père a loué une maison à Sainte-Foy-la-Grande, et nous y avons passé toute la guerre, à l'exception qui fait l'objet du présent dossier.
Mon père n'a évidemment pas pu exercer sa profession. En fait, il a été sans travail pendant toute la guerre. Je me suis souvent demandé de quoi nous vivions, et j'ai eu le tort de ne pas poser la question à mon père en temps utile. De toute façon, les enfants n'abordaient pas ce genre de sujet. J'ai pu, en revanche, en parler avec ma soeur, qui est plus âgée que moi, et avec une tante qui était également à Sainte-Foy-1a-Grande. Les frères Oungre possédaient un camion et, au moment de l'exode, le véhicule, conduit par un employé, a pu évacuer le stock de fourrures qui a, par la suite, été vendu. En outre, ma tante m'a dit que les réfugiés qui ne pouvaient regagner leur domicile après l'armistice, ce qui était notre cas puisque la Lorraine avait été annexée par l'Allemagne, recevaient une petite allocation.
Par chance - nous ne pouvions le savoir au moment de notre installation – Sainte-Foy-la-Grande s'est trouvée en zone non occupée (à seulement 16 kilomètres de la ligne de démarcation) ce qui nous a valu, au début, la tranquillité. Ma soeur et moi allions à l'école, faisions partie du mouvement des éclaireurs et éclaireuses unionistes (protestants). Le directeur de l'école communale que je fréquentais était tout à fait remarquable. Il avait prévenu publiquement que si un élève tenait des propos antisémites, il lui botterait les fesses, et en fait, il n'y a jamais eu d'incidents. Lorsqu'il y a eu le recensement des juifs, mes parents se sont présentés et leurs cartes d'identité ont reçu le tampon «Juif » (voir en annexe la photo de la carte d'identité de ma mère). Nous n'avons jamais eu de faux papiers.
Mon père était très occupé à parcourir la campagne à bicyclette pour essayer de trouver du lait ou d'autres produits alimentaires rationnés.
Lorsque les Allemands ont occupé la zone sud (1942), les choses ont commencé à se gâter. Il y a eu des alertes. Nous avons été prévenus plusieurs fois et nous avons passé quelques jours cachés chez diverses personnes dont je ne sais même plus les noms.
Jusqu'à l'été de 1944, il n'y a toutefois pas eu d'arrestations de juifs (ils étaient quelques dizaines à Sainte-Foy-la-Grande).
La situation est devenue vraiment grave au printemps de 1944, parce que la résistance s'est manifestée, ce qui a fait venir l'armée allemande que l'on n'avait jamais vue jusque là.
 
[En 2009, Simon Oungre apporte la précision suivante : « Ce n’est pas tout à fait exact. D’après Jean Corriger, en page 18, « Avant le 11 novembre 1942, Sainte-Foy n’a guère vu d’Allemands, sinon des détachements de commissions d’armistice, venus surtout pour opérer dans le pays des réquisitions.]
 
Mes parents ont envoyé ma soeur chez les religieuses de Saint Vincent de Paul, rue Louis Blanc, à Périgueux. J'ignore la date exacte mais une photo prouve qu'elle y était le 16 mars 1944. En avril, les réseaux d'entraide protestants, extrêmement actifs à Sainte-Foy-la-Grande, nous procurèrent un abri dans les circonstances que voici : Madame Deseymeriea, professeur de piano à Sainte-Foy, était en train de donner une leçon à une jeune parente des Vergnaud - les personnes en faveur desquelles je témoigne - lorsqu'on lui fit savoir qu'un danger menaçait les juifs. Elle dit à son élève: « Prends ton vélo et va tout de suite chez les Vergnaud. Dis-leur que j'ai besoin d'une planque pour un couple plus un enfant. » Les Vergnaud habitaient une grande maison sise dans Je hameau des Briands, commune de Saint-Avit-du-Moiron, à quelques kilomètres de Sainte-Foy. J'ignore comment Madame Deseymeriea avait entendu parler de nous. Je n'ai eu vent de son intervention qu'après son décès, et après le décès des Vergnaud. Les Vergnaud ont tout de suite accepté de nous recevoir. Les personnes qui habitaient dans la maison étaient :
 
1) Monsieur Paul Vergnaud (1873-1964), viticulteur (il exploitait 20 hectares de vignes)
2) Son épouse Marthe Lucie née Goulard (1875-1956)
3) Leur fille Marie Suzanne, épouse Monnier, née en 1911,et qui vit actuellement à Sainte-Foy.
4) Leur gendre Roger Monnier (1900-1987)
5) Deux jeunes enfants du couple Monnier.
 
Nous allâmes donc chez Vergnaud, probablement le 22 ou le 23 avril 1944, car sur mon carnet de notes, que j'ai conservé, la dernière note est datée du vendredi 21 avril.
Je crois me souvenir que mon père versait aux Vergnaud une somme modeste pour notrepension, ce qui était parfaitement normal, puisqu'il le pouvait. En tout état de cause, le risque pour les Vergnaud, au cas où nous aurions été découverts chez eux, était, on s'en doute, sans commune mesure avec le montant de la pension. Notre présence pouvait leur coûter la vie, ou dans le meilleur des cas, si l'on ose dire, l'incendie de leur maison.
Il y avait des travailleurs agricoles chez les Vergnaud. Tous nous ont vus - nous n'étions absolument pas cachés - mais aucun d'eux n'a commis d'indiscrétion. Au moment des grandes vacances, ma soeur a dû quitter l'établissement des religieuses, qui ne pouvait garder de pensionnaires en été. Elle a alors vécu à Saint-Avit-du-Moiron, tout près de nous, dans la famille Germain, protestante comme les Vergnaud (du 7 juillet 1944 au 19 0ctobre 1944).
 
Le 5 août 1944, des centaines d'allemands ont investi Sainte-Foy-la-Grande. Il y avait avec eux une formation française de 15 hommes, le groupe «Karolus » .
Le commandant Besson-Rapp («la cinquantaine, légion d'honneur»), qui dirigeait ce groupe, ne pouvant s'en prendre aux maquisards, a demandé au maire la liste des juifs. Le maire la leur a communiquée. Ils ont arrêté tous les juifs qu'ils ont pu trouver - et nous aurions été du nombre si nous étions restés à Sainte-Foy. Ils ont ensuite relâché les femmes et les enfants. Les hommes, au nombre de six, ont été massacrés au lieu dit Souléiou, près du Fleix, dans des conditions de sauvagerie inimaginables. Je me souviens personnellement d'avoir entendu le témoignage effrayant d'un homme que la municipalité avait envoyé pour recueillir les restes des victimes. Je connaissais deux des victimes, car leurs fils étaient à l'école avec moi. Comme ils ne figuraient pas dans le mémorial de la déportation, j'ai communiqué leur nom et leur âge, d'après un livre sur la libération de Sainte-Foy, à Maître Klarsfeld. Ils ont été ajoutés dans l'additif au mémorial dans la page consacrée aux juifs fusillés ou abattus sommairement (la page comporte une erreur: Maurice Jourkevitch n'a pas été tué à Paris, mais à Sainte-Foy. D'ailleurs, la date concorde).
 
[En septembre 2010, Simon Oungre rapporte l’anecdote suivante concernant l’arrestation d’Aron Alembick, massacré le lendemain à Souleiou :
« Lorsque les sbires du commandant Besson-Rapp sont venus l’arrêter dans sa boutique de tailleur en vue de le massacrer, il leur a dit naïvement : « Mais j’ai du travail à terminer. » L’un deux lui a répondu (je ne garantis pas les termes mais l’esprit de la réponse) : « Tu n’auras pas l’occasion de le terminer ! »]
 
Un jour, les Allemands, qui recherchaient les «terroristes » sont venus aux Briands, chez les Vergnaud. Mes parents et mol les avons vus à travers les fentes des volets, qu'on avait fermés par précaution. Nous étions au premier étage et eux, devant la porte au rez-de-chaussée. Je m'en souviendrai jusqu'à mon dernier souffle. Avec un sang froid extraordinaire, Madame Monnier leur a dit « Il n'y a pas de terroristes ici ; vous pouvez fouiller la maison si vous voulez ». Ils n'ont pas insisté. Certes, nous n'étions pas des terroristes, mais s'ils étaient montés, ils auraient sans doute trouvé notre présence insolite, sans parler des cartes d'identité de mes parents. Que se serait-il passé ?
Dans la nuit du 21 au 22 juin 1944, nous avons vu une énorme lueur à l'horizon.
C'était le village de Mouleydier - nous l'avons su par la suite - que les Allemands incendiaient à titre de représailles à une action de la Résistance. En outre, 22 personnes furent fusillées. La vue de ce gigantesque incendie (200 maisons) a terriblement effrayé l'enfant que j'étais car j'imaginais ainsi à quoi avait dû ressembler l'arrivée des Huns dont parlait mon livre d'histoire.
Sainte-Foy-la-Grande a été libérée par la résistance le 11 août, puis reprise par les Allemands, et définitivement libérée le 17 août. Nous sommes encore restés quelques semaines chez les Vergnaud (par précaution ou pour aider aux vendanges, je ne sais plus). C'est de cette époque que date la photo ci-jointe (Monsieur Vergnaud porte un chapeau. Ma mère est à gauche.)
Après la guerre, nous sommes restés en relations avec Monsieur et Madame Vergnaud, puis, après leur décès, avec la famille Monnier. Madame Monnier m'a donné l'autorisation d'effectuer les présentes démarches et m'a procuré les documents d'état civil.
La famille de ma mère n'a pas eu la chance de rencontrer des gens comme les Vergnaud. En outre, ils étaient en zone occupée. Le frère de ma mère, son épouse et leurs trois enfants ont été déportés (convoi N° 68). Deux oncles et deux tantes de ma mère ont également été déportés. Aucun d'eux n'est revenu.
Parmi les trois personnes qui ont été recueillies par les Vergnaud, je suis le seul qui puisse témoigner : mon père est décédé en 1973 et ma mère en 1975. Je regrette amèrement de n'avoir pas entrepris ces démarches plus tôt. »
 
Oungre Simon (suite[2])
 
 
Fernand Bloch a assuré le culte israélite à Sainte-Foy, dans son logement situé 24 rue Chanzy, à Sainte-Foy-la-Grande. La famille Bloch se composait des parents et de 2 filles, Raymonde, aujourd’hui décédée, et Jacqueline, veuve Lysek ; je les connaissais tous.
Ils étaient originaires de Schirmeck, dans le Bas-Rhin, et, au moment de la guerre, ils se sont réfugiés à Bordeaux. Ultérieurement, lorsque la situation est devenue dangereuse pour les Juifs dans la capitale girondine, alors dans la zone occupée, ils ont franchi clandestinement la ligne de démarcation pour aller à Sainte-Foy où ils sont arrivés le 5 mai 1942 (date attestée par Jacqueline Lysek). Pourquoi Sainte-Foy ? Parce que Monsieur Bloch connaissait Edouard Oungre - le frère de mon père - qui, avec sa femme, s’était aussi réfugié à Sainte-Foy.
Fernand Bloch était très pieux et c’est vrai qu’il a organisé le culte israélite chez lui. J’avais 10 ans en 1942 et je ne crois pas y avoir jamais assisté. Ma sœur, née en 1925, non plus. Ma mère était très pieuse et elle priait chez nous.
Lorsqu’il y a eu la rafle du 5 août 1944, les Bloch ont été sauvés par des voisins qui les ont prévenus à temps et qui les ont cachés. Heureusement, car les sbires de Besson-Rapp sont venus les chercher. Monsieur Corriger écrit : « La salle servant de synagogue est saccagée. » Madame Lysek m’a confirmé que, furieux de n’avoir pas trouvé les Bloch, les membres du groupe « Karolus » avaient causé des dégâts dans leur logement.
 
Oungre Simon (suite)[3]
Les informations ci-dessus peuvent laisser croire que la traversée de la guerre a été plutôt sereine pour ma famille. Ce fut, Dieu merci, le cas à Sainte-Foy et au Puy. Par ailleurs hélas, je dénombre 58 déportés dans ma famille. Deux sont revenus. L’un parce que le gouvernement danois, qui était fort différent de Vichy, l’a fait sortir du camp de Theresienstadt, l’autre parce qu’il avait été déporté de France à Buchenwald qui était un camp certes épouvantable, mais pas un camp d’extermination. Les plus proches de moi, parmi les victimes, sont un frère de ma mère, son épouse et leurs trois enfants, dont j’étais très proche. Ils étaient réfugiés à Saint-Georges-les-Baillargeaux (près de Poitiers).


[1] Témoignage de Monsieur Simon Oungre recueilli par Jacques Puyaubert le 12 octobre 2009. Copyright Comité français pour Yad Vashem « Collection privée ».
[2] Témoignage de Monsieur Simon Oungre recueilli par Jacques Puyaubert, le 20 novembre 2009
 
[3] Témoignage de Monsieur Simon Oungre recueilli par Jacques Puyaubert, le 1er septembre 2010

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