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Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945): Témoignage Herpe Daniel

31/03/2013 - Lu 4939 fois
"N° double 96-97"
"Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945). "Témoignages"


« En faisant ce papier, je n’ai pas le sentiment de me conduire en historien et je crois plutôt avoir relaté la vie d’une famille française dans nos années foyennes 1937-1947 »

 

 
Daniel Herpe est le fils de Georgette et d’Emile Herpe, directeur du collège de garçons Jules Steeg de Sainte-Foy-la-Grande. Daniel Herpe, né en 1927, a fait ses études secondaires dans ce collège puis sa terminale au sein de la section supérieure au collège de jeunes filles, puisque tel était l’usage. Il a exercé la médecine à Bordeaux, en radiologie. Aujourd’hui à la retraite, il accepté de livrer ses souvenirs, en rendant hommage à ses parents ; parlant d’eux, il a dit : « Ils le méritent ».
 
Le sort des Juifs sous l’Occupation en pays foyen
 
« La famille Herpe, père, mère, fille et fils, vécut à Sainte-Foy-la-Grande de 1937 à 1947. Mon père, Emile Herpe avait 46 ans en 1937 et j’en avais 10. Pourtant, j’ai des souvenirs assez frais de cette époque mais comme ils ont 70 ans ou presque, on voudra bien excuser les petites erreurs que j’aurais pu commettre.
 
« Emile Herpe, directeur du collège Jules Steeg, était Breton du Trégor et il avait les qualités propres à cette province : le courage, la détermination, la fidélité aux idées et aux hommes. Très droit, il dégageait une impression d’autorité que tous ses élèves ressentaient. Homme de gauche sans ostentation, car il était extrêmement libéral et tolérant, il fut très influencé par deux écrivains : Voltaire et Renan – qui d’ailleurs était né à Tréguier, non loin de notre berceau familial – et plus tard par de Gaulle. Il fit la guerre de 14 dans la Marine et resta militaire de 1911 (sa classe) à 1919. Redevenu civil, il réussit le concours de Normale Sup Saint-Cloud, fortement attiré par l’Histoire.
« Il se maria en 1925 avec Georgette Leblanc ; et, tandis que mon père était seulement déiste (Voltaire), ma mère appartenait à une famille nombreuse (de 8 enfants), très catholique et très pratiquante. Mon père respectait ses idées et disait souvent que c’était une grâce divine d’avoir la Foi. J’ai dit que mon père aimait l’Histoire et il vécut avec une grande attention l’Histoire contemporaine.
Il avait lu Mein Kampf : il réalisa tout de suite le danger nazi qu’il faudrait combattre. C’est pourquoi, il fut attristé par notre inertie au moment de la réoccupation de la Rhénanie (en 1936) et plus encore attristé par les accords de Munich (en 1938). Comme Churchill, il pensa que Munich ne sauverait pas la Paix mais que l’on y récolterait le déshonneur et la guerre, nous savons la suite…
 
« Emile Herpe était le directeur du collège, rue Langalerie, et il a pris sa retraite en 1947. La débâcle de 1940 fut pour nous une grande souffrance, un profond désarroi mais nous avons entendu à la radio le discours du général de Gaulle du 18 juin 1940. Dès lors, notre décision fut prise, suivre de Gaulle et résister. Le premier acte de résistance contre Vichy fut de pavoiser le collège Jules Steeg aux couleurs tricolores, le 14 juillet 1940. C’était bien le seul édifice public qui osât arborer le drapeau français (nous l’avons vérifié, mon père et moi, en parcourant Sainte-Foy).
 
 « Mon père a soutenu une famille juive, les Levy, de 1940 à 1944 ; ils ont gardé longtemps leur patronyme avant de le modifier par sécurité. C’est en 1940 ou au début de 1941 que je fis connaissance d’André Levy qui habitait en face du collège et à qui je gagnais ses billes au jeu du même nom. Nous nous liâmes d’amitié avec les Levy qui étaient Belges, le père marchand de chevaux dans les Ardennes wallonnes à Arlon. En 1944, quand la pression antisémite se fit trop forte, nous les cachâmes dans notre propriété de Blois à Bonneville en Dordogne.
Ils étaient quatre, les parents et les enfants, André et Jacqueline et c’est à l’opiniâtreté d’André que mes parents doivent leur inscription aux Justes parmi les Nations, le 10 août 1999. La médaille des Justes fut ainsi décernée à Georgette et à Emile Herpe, 55 ans après les faits ; un arbre à leur nom (du reste) est planté à Tel-Aviv, au mémorial de Yad Vashem.
« Mes parents ont aussi hébergé dans l’Internat une quinzaine de jeunes Juifs de parents déportés, sans doute décédés ; ils étaient sans doute dirigés par une organisation d’assistance juive. La Libération venue, mes parents n’eurent plus la moindre manifestation !
 
« La colonie juive foyenne était très restreinte avant la guerre ; la seule famille juive que nous connaissions et avec laquelle nous avions tissé des liens d’amitié, étant les Bouaknin qui, heureusement, survécurent à ces terribles moments. Les Bouaknin qui avaient pignon sur rue dans l’entre-deux-guerres - le père avait adopté le nom de « David » - se sont réfugiés à Marmande sous l’Occupation et ont pu être épargnés. Un membre de cette famille est revenu à Sainte-Foy à la fin juin 44 parce que mon père, confiant, lui avait dit qu’il n’y avait plus de problème désormais. Ce dernier se trompait lourdement puisque une grande rafle eut lieu en août.
« Les Israélites réfugiés étaient schématiquement de deux catégories : ceux qui, comme les Levy ou les Oungre habitaient la France depuis plusieurs générations                 et que l’on ne distinguait pas des autres Français ; ils se fondaient ainsi aisément dans la société foyenne. Et puis ceux fraîchement arrivés, souvent d’Europe centrale, de Pologne particulièrement, que le nom et le parler très approximatif rendaient vulnérables.
Ce sont ces derniers qui, en août 1944, furent arrêtés par ceux que j’ai pensé être des Miliciens. Les hommes furent séparés de leur famille et fusillés : crime raciste purement gratuit à Souleiou, sur la commune du Fleix. Le chef de ces assassins s’appelait Besson-Rapp ; il fut pris en 1945, jugé et condamné, outre l’indignité nationale, à quelques années de prison.
« Et, fait singulier, Madame Levy - la mère d’André Samuel, le témoin qui a fait les démarches auprès de Yad Vashem -, originaire de Vitry-le-François et dont toute la famille a disparu dans l’holocauste, avait une certaine réserve vis-à-vis de ses coreligionnaires Juifs polonais qu’elle qualifiait facilement, devant nous, de « Polaks ». Ce quant à soi était révélateur de ce clivage géographique.
 
« Cela m’amène à rendre hommage à un autre de mes professeurs, Jacques Levy-Reclus, normalien et latiniste hors pair. Cet israélite par son père (M. Levy mort pendant la guerre de 14-18) et protestant par sa mère (la famille des Reclus géographes), épousa la foi catholique pendant cette guerre et il se fit baptiser ; mon père lui avait conseillé de faire état de son nouveau statut. Alors, Jacques L-R lui rétorqua : « Mon père a été tué sur le front en 14-18 et il n’est pas question que je dise publiquement ma nouvelle religion ce qui pourrait être offensant pour sa mémoire et pour moi, un signe de lâcheté. Donc, Monsieur le Directeur, j’attendrai la fin de la guerre pour me dévoiler ». Jacques Reclus a été arrêté et mourut en déportation à Buchenwald ou à Auschwitz, je ne sais plus.
 
La Résistance à Sainte-Foy
 
« La Résistance active à Sainte-Foy ne remonte, selon moi, qu’à 1942-1943. Mon père, le 1er janvier 1942 s’inscrivit dans « La France combattante » dont le responsable était un Belge du Fleix, le commandant Morisset - qui a terminé comme colonel -. Ce dernier fut l’objet d’une perquisition le jour même, mais l’engagement de mon père était caché comme un signet d’un livre dans sa bibliothèque. 
 
« Sur le plan moral et dans son école, le rôle de mon père fut déterminant et la croyance en la victoire finale désormais acquise. J’étais, à ce moment-là très proche de lui ; on savait ses idées et son engagement. Ainsi, chaque trimestre, lors de la distribution des récompenses, le drapeau tricolore déployé ornait l’estrade professorale.
« A partir de 1943, notre collège fut une officine de faux papiers grâce, je crois, à Monsieur Barat, imprimeur. Nous eûmes de faux tampons et nous fîmes de faux papiers aux FFI et, singulièrement aux jeunes réfractaires au STO (c’était souvent les mêmes). Nous faisions « naître » ces gens à Rouen ou bien au Havre parce que les archives avaient disparu dans ces localités lors des bombardements ce qui bloquait les recherches de la police. La plupart des professeurs du collège de garçons étaient acquis à la Résistance gaulliste ; je citerai les noms de Jean Corriger, du professeur Jorand, Delahaye, Mesdemoiselles Muff et Estoupe, Madame Pécastaing - originaire de Vic-Bigorre -, directrice des filles. Un seul détonait dans ce groupe, mon professeur d’Anglais, anglophobe et pétainiste, mais qui, par la suite, fut connu dans le syndicalisme universitaire !
Jean Corriger était en communion avec mon père quant à tous ses engagements mais ils se livraient peu.
 
« J’ai une reconnaissance particulière pour deux personnalités :
Monsieur Chaigneau, un instituteur du cours moyen de l’école communale de Sainte-Foy pour qui les élèves et le Stade foyen étaient l’objet d’un total dévouement. Il faisait régner une discipline un tantinet militaire mais il faut dire qu’il avait terminé la Grande Guerre comme capitaine.
L’autre personnalité est Madame Vigneron, mon professeur de sciences qui me forma de manière irréversible à la logique. 
Beaucoup de mes camarades de classe plus âgés s’engagèrent dans le bon combat. Je citerai, mais de manière non exhaustive, Décombe (qui devint plus tard un très bon joueur de rugby), Lamothe, D., Gérardin, Rivière, Prévot, Hugon (fusillé en 1944 à Saint-Astier), Laville, Frantz, Durand.
J’avais comme bon camarade Jacky Vergnaud avec qui je jouais à la pelote basque. Son père était un grand résistant. Mon ami a été arrêté et déporté. Il a eu ses 20 ans à Dachau. Revenu de captivité, il est décédé il y a quelques années.
 
«A la libération de Sainte-Foy fin août 1944, mon père fut nommé membre du Comité de Libération local. Il s’y employa à calmer les ardeurs revanchardes de beaucoup, à prévenir les vils règlements de compte, à montrer, comme c’était sa nature, de la générosité dans la victoire comme il avait montré du courage dans les années terribles.
« Je voudrais signaler une anecdote qui concerne ma mère. J’ai dit qu’elle était catholique et très pratiquante. Toutefois, un dimanche à la messe, notre curé doyen dépassa les bornes de ce que pouvait écouter une femme patriote et acquise à la Résistance. Elle prit ses deux enfants par la main et quitta ostensiblement l’église où nous ne remîmes pas les pieds avant la fin de la guerre. Le dimanche, nous prenions nos vélos pour aller écouter la messe à Pineuilh dont le curé était Belge, Wallon et résistant.
« Autre petite anecdote : avec ce chenapan de J-C Seuve, mon camarade de classe, nous avions griffonné une croix de Lorraine sur le front de la photo du maréchal Pétain. Dénoncés par le jardinier du collège, nous vîmes arriver de Bergerac l’inspecteur primaire M. B. qui nous tança fortement, nous fît renvoyer du collège pour 72 heures et jamais il ne montra par son attitude qu’il était de notre bord. Pourtant, à la 11ème heure, il fut un grand résistant ! Tout comme l’inspecteur d’Académie de Périgueux !
« Notre vie après 1945 fut beaucoup plus calme, familiale, ma sœur étudiante en pharmacie et moi en médecine à Bordeaux. Mon père, assez désabusé par les suites qu’il eût souhaité plus dignes de ces années tragiques. Pas très satisfait par l’attitude de sa hiérarchie, décida de venir nous rejoindre, ma sœur et moi, pour se retirer à Bordeaux.
 

« En 1951, mon père a reçu la médaille de la Reconnaissance française pour ses faits de Résistance. Il mourut en 1970 et ma mère, en 1987. »



[1] Témoignage de M. Daniel Herpe, recueilli le 3 novembre 2009 par Jacques Puyaubert
herpe | juifs |

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